L’Allemagne se dirige vers la légalisation du cannabis récréatif
Le cannabis récréatif pour lutter contre le marché noir et augmenter les recettes de l’État
La nouvelle coalition qui vient de prendre le pouvoir en Allemagne en a fait un argument de campagne. Rien que cela. C’est dire l’importance de ce sujet pour les libéraux, Verts et sociaux-démocrates qui ont pris la suite d’Angela Merkel en janvier dernier. Leur souhait est de favoriser la "distribution contrôlée du cannabis pour les adultes dans des magasins à priori plutôt les pharmacies sous licence de l'État." L’objectif est fixé à 2024, autrement dit sept ans après l'autorisation du cannabis médical, pour la mise en place de cette mesure. L'Allemagne apporterait alors de la structure quant à son usage récréatif.
Cette coalition, tripartite à l’origine, avance de solides arguments afin de justifier sa démarche : éviter que des substances de mauvaise qualité, dangereuses de surcroît, ne circulent et une volonté résolue de protéger la jeunesse. Autre atout avancé par la coalition au pouvoir : la hausse prévisible des recettes fiscales pour l'État, que l’équipe de l'économiste Justus Haucap évalue à plus de 2 milliards d'euros dans une étude commandée par l'association allemande du chanvre qui vient de paraître.
Si l’on en croit Justus Haucap, la seule taxe portant uniquement sur le cannabis génèrerait 1,8 milliard d'euros pour l'État. Sachant qu’il faudra ajouter à cela, afin d’obtenir des prévisions précises, les taxes professionnelles, l'impôt sur les sociétés/les salaires et la TVA. Montant de l’opération : 2,9 milliards d'euros.
Ce n’est pas tout. En réalité, le calcul final donne un résultat de 5 milliards d'euros par an. Comment cela s’explique-t-il ? L’économiste inclut également un milliard d’euros d'économies que l’on retranche du côté de la police et la justice. Cela demeure théorique, mais se conçoit aisément : l’hypothèse est que la criminalité diminuera car le marché légal a vocation à rendre le marché noir exsangue. Cela s’accompagne d’une condition afin de viser ces prévisions : l’étude préconise de vendre le cannabis à environ 10 euros le gramme.
Précision additionnelle de la part de Justus Haucap : « Ces chiffres sont tout à fait comparables à ceux que le Conseil d'Analyse économique a calculé pour la France en 2019, déclare-t-il. Nous pensons donc que ce serait une bonne affaire pour ces deux pays ! Cela créerait en Allemagne 27 000 emplois. Cela réduirait également les coûts sur la santé, puisque les consommateurs achètent des produits de qualité. »
Autre observation dans les pays au sein desquels le cannabis est légalisé : chez les consommateurs considérés comme « à problème » comme les adolescents, la consommation reste la même. Comprendre qu’elle n’augmente pas. Une nouvelle positive et même « très réjouissante ».
Pour autant, la classe politique allemande reste divisée. Malgré tous ces arguments structurés et recevables, point de consensus à l’heure actuelle au sein du Bundesrat, l'équivalent du Sénat en France. Le projet va devoir être retravaillé, si la coalition espère convaincre d’ici à cet été.
La légalisation du cannabis récréatif divise en haut lieu
Stephan Pilsinger est porte-parole de la CDU dans la lutte antidrogue, il fait partie des adversaires de la coalition qu’il faudra convaincre. Selon lui, la coalition mène une « expérience sur la santé de notre société et de nos jeunes ». L’État doit-il vraiment gagner de l’argent en plongeant ses citoyens dans le danger de la dépendance, des psychoses permanentes et de la souffrance physique et mentale ? Je pense que c’est immoral », s’est-il ému auprès de l’Agence France-Presse.
Les syndicats de policiers font également partie des sceptiques. Eux craignent une « banalisation de la consommation de cannabis » alors que d’autres voient le spectre d’un renforcement du crime organisé.
Jörg Radek est vice-président du syndicat de la police allemande GdP. Pour lui, la circonspection est de mise : « L'intention politique est d'ajouter éventuellement une troisième drogue, le cannabis, aux drogues déjà légalisées, comme la nicotine et l'alcool. En tant que policier, j'ai des doutes à ce sujet, car cela va également changer la société en termes d'interaction avec les autres. Mais aussi pour nous, dans la police, car cela nous donnera certainement plus de travail ».
Côté santé, des addictologues ont aussi fait part de leurs réserves quant à l’impact éventuel sur la santé mentale des plus jeunes et les risques de cancer.
Lorsqu’il s’agit de prendre une décision aussi forte, il est coutume de regarder ce que font les pays voisins. Que ce soit pour renforcer la démarche ou, au contraire, la relativiser. Ici, ce sont les Pays-Bas qui sont souvent mentionnés comme pionnier et exemple à suivre. Après avoir été les premiers à légaliser, le pays affirme vouloir à nouveau retrouver une politique sévère en matière de drogues en raison de la hausse du crime organisé lié au cannabis.